Ne cherchez pas le hacker masqué aux commandes de Projet Arcadie : vous y trouverez une femme, Tris Acatrinei. Une de ces femmes, qui se définit elle-même comme une « sale gosse des internets » et à laquelle aucune étiquette ne convient tout à fait. Cette franco-roumaine forte en gueule mais aussi en droit et en code, s’est affranchie des clichés attendus de ces univers austères et disons-le, très peu féminisés que sont la politique et l’informatique. A 31 ans, cette diplômée en Droit des Nouvelles Technologies, ancienne chargée de mission à la Hadopi, puis collaboratrice parlementaire, a créée sa startup. On l’a vue sur LCP tenir tête à Jacques Myard (député LR assez fâché avec le fonctionnement de l’internet), et tutoyer Manuel Valls. Elle a osé le saut dans l’entrepreneuriat au lieu de la carrière à l’Assemblée Nationale ou le concours d’avocat.
Les a priori, Tris les dépasse, les brise, en rigole, et c’est inspirant. Interview.
D’où t’es venu l’idée de Projet Arcadie ?
Elle est tout simplement venue d’un vrai besoin : lorsque je travaillais en tant que collaboratrice, je devais rechercher beaucoup d’informations sur les parlementaires, et là, franchement, rien n’était simple : si tout existe à divers endroits, il fallait rechercher, vérifier, compiler et ça prenait non seulement un temps fou, mais c’était hyper pénible à tenir à jour. Une nouvelle commission, une nomination, un débat majeur et tout est à revoir ! J’ai commencé par monter ma propre base de données, et puis, je me suis dit que si j’avais ce problème, d’autres devaient être dans le même cas ! Tout est parti de là. J’ai quitté mon job à l’Assemblée et j’ai commencé à développer mon idée. J’ai travaillé comme une dingue, entre 10h et 12h par jour, pour bâtir Projet Arcadie. C’était passionnant, et surtout, j’ai la conviction de fournir un outil utile pour beaucoup de gens. J’ai mis un an et demi à parvenir à la version actuellement en ligne. J’ai pu combiner le socle de ma formation juridique, ma connaissance en matière de propriété intellectuelle, de vie privée, de droit européen, à ma passion pour l’informatique et le code.
Fais nous le pitch ! C’est quoi Projet Arcadie ?
Projet Arcadie est une base de données en ligne, accessible sur abonnement, où pour chaque sénateur ou député, tu vas non seulement retrouver les infos standards, mais surtout ce sur quoi il travaille, par exemple, dans quelles commissions, quels sujets ont sa faveur, quels sont ses mandats, sa profession … On dit également qui est dans son équipe. Si à l’Assemblée, nous n’avions pas ces données en un point centralisé, alors que dire des entreprises et des structures qui ont besoin de communiquer avec leurs parlementaires selon le sujet qui les occupe ou qu’elles veulent expliquer ? On utilise donc des machines, des robots pour collecter et croiser en automatique et en continu les infos disponibles sur des sources totalement éparses, certaines déclaratives, d’autres non, et ensuite je les vérifie, les corrige éventuellement, pour ne les mettre en ligne que lorsqu’elles sont totalement fiabilisées. C’est un vrai mix entre la rapidité et la productivité de la machine et la capacité d’analyse et d’interprétation humaine.
On va pouvoir espionner nos parlementaires ?
(Rires) Oui, mais pas que. Ca n’a pas fait plaisir à tout le monde, j’ai été menacée par certains à la mise en ligne. Mais je m’en fous, car il s’agissait de cas isolés, et parce que Projet Arcadie, c’est surtout un outil utile aujourd’hui, dans une société où les politiques sont discrédités aux yeux des citoyens, et sont accusés de ne pas comprendre les gens. Je crois que l’une des causes du problème c’est le fossé qui existe entre le politique et le citoyen, mais aussi entre le politique, nos élites et l’écosystème startup. Et pas toujours dans le sens qu’on croit ! On accuse souvent les politiques de ne pas venir du secteur privé, or, si tu regardes de près les données, on a 56,69 % de politiques qui en viennet : des cadres, des avocats, des médecins, des chefs d’entreprises. Mais oui, c’est vrai, on a aussi des politiques de métier, alors que non, la politique n’est pas un métier : c’est une mission. Tu trouves chez nos parlementaires des gens qui sont là depuis la 9ème ou la 11ème législature (1997), alors qu’on en est à la 14ème. Parmi les élites qui critiquent la politique en général et les parlementaires en particulier, beaucoup ignorent quel est le périmètre de leurs missions et le fonctionnement des institutions. D’autres s’adressent au mauvais interlocuteur et perdent du temps.
Cette méconnaissance génère en partie bien des débats inutiles ou bancals, elle empêche que les vrais sujets soient soumis aux bonnes personnes et traités avec toute l’efficacité possible. Projet Arcadie est une startup utile pour ça, j’y mets toutes les informations utiles à un débat démocratique éclairé et constructif.
Par exemple, pendant le débat sur la réforme constitutionnelle, on a accusé les députés d’être absents. Or, c’était normal qu’ils le soient ! Je l’ai expliqué sur mon blog : le vote important était le mercredi. Or dès le lundi, la polémique a démarré, entretenue par quelques députés qui jouaient les premiers de la classe sur leur banc, alors qu’ils y étaient uniquement par tactique et savaient pertinemment pourquoi leurs collègues n’étaient pas là. Les citoyens ont été pris en otage de la méconnaissance entretenue par certains, et non résolue par d’autres.
La vocation de Projet Arcadie, c’est d’établir une passerelle entre les mondes parlementaire, économique et citoyen. Les agences de RP, les chargés de relations institutionnelles, mais aussi les collectivités, le monde associatif : on donne la capacité à tous ces acteurs de frapper à la bonne porte, à celle du parlementaire qui gère réellement la question qui les concerne. Les médias, qui sont engagés dans les logiques de fact-checking y trouveront de l’info fiable.
Mais Madame Michu, la ménagère de moins de 50 ans, l’étudiant en plein exposé ?
Blog Projet Arcadie est là pour ça. J’y donne des infos, des clés de lectures de la vie parlementaire et du processus législatif, on partage parfois des fiches de parlementaires. J’espère que cela en aidera certains et en convaincra d’autres de plus s’intéresser à leurs représentants !
J’utilise également Twitter pour des live-tweet des sessions de l’Assemblée et du Sénat (en moins formel et plus drôle), j’y donne des explications sur les débats en cours et sur les parlementaires qui interviennent. C’est le compte parfait pour suivre le célèbre #DirectAN en double-écran ! Je réfléchis aussi à des partenariats avec des écoles pour que les étudiants bénéficient de l’outil. Les perspectives sont vastes. Y compris à l’étranger.
En vidéo : Intervention de Tris dans l’émission « Ca Vous Regarde » sur LCP « Daech sur tous les fronts » Nov.2015
La version 2 de Projet Arcadie est en ligne ici : www.projetarcadie.com
Crédits Photos : Tris Acatrinei – www.assemblee-nationale.fr
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