Rien que le nom de son établissement donne le ton : Wild Code School. Elle, c’est Anna Stepanoff , une femme de tête et de cœur, imprégnée de différentes cultures et systèmes d’éducation, qui la dirige. Loin des polémiques sur l’accent circonflexe, cette voyageuse de l’enseignement et son équipe ont ouvert une école qui ouvre la formation au code à des élèves venus de tous horizons, avec une méthode innovante, pour mieux faire se rencontrer diplômés et emploi. A l’heure de la transition numérique qui touche tous les secteurs d’activité, et où la courbe du chômage est en mode encéphalogramme plat, c’est une bonne nouvelle. Ne cherchez pas la Wild Code School au cœur de la capitaaaale ! Au fil de l’interview, c’est toute une vision nouvelle et originale de l’enseignement qu’Anna a partagée avec nous. Celle qu’elle met à disposition à travers son école. Ca fait réfléchir, et ça donne le sourire pour l’avenir. Let’s get Wild !
Bonjour Anna, vous êtes ingénieure en informatique ? Geek ? Qui êtes-vous ?
J’ai un parcours assez complexe ! Je viens de Biélorussie, j’ai la double nationalité. J’ai commencé mes études en économie en Biélorussie dans un système quasi-soviétique. En 2001, à 19 ans, j’ai décidé de partir aux Etats-Unis à Harvard. C’était la grande aventure : c’était mon premier grand voyage toute seule. Sans famille ni connaissance sur place, j’ai dû intégrer le système américain. J’y ai passé 3 ans, et j’ai profité de ce système ouvert, où l’on peut composer son apprentissage, choisir ce que l’on veut. J’ai adoré. Ça nourrissait ma curiosité et ça m’a encore ouverte sur d’autres choses. Au bout de 3 ans j’ai souhaité revenir en Europe, car je ne me retrouvais pas vraiment dans le système américain, sans pour autant vouloir retourner dans le système soviétique. Donc je suis venue entre les deux, en France, pour continuer mes études, voir d’autres points de vue. En 2004, j’ai intégré Normale Sup où j’ai également passé 3 ans. Et là, j’ai trouvé un système encore plus libre qu’aux Etats-Unis, où l’on pouvait faire ce qu’on voulait parmi les différentes universités parisiennes. Ça n’existe plus depuis, mais j’ai pu en profiter. J’ai enchaîné sur une thèse à la Sorbonne en 2007, et y suis restée 3 ans. J’ai eu dans ma vie cette chance d’avoir appris énormément de choses de différentes façons. (NDLR : Au total, Anna a un niveau bac +11)
Comment vous est venue l’idée de créer une école dans le code ?
Pendant ma thèse, mon statut de normalienne me permettait aussi d’enseigner auprès d’étudiants. Mais cette période, quoique très enrichissante, m’a aussi apporté une grande déception au niveau éducatif. J’avais plein d’idées, une grande envie d’expérimenter de nouvelles façons de faire, j’ai proposé des projets, organisé un colloque … Mais j’ai rencontré très très peu d’intérêt pour ce type d’initiative. J’avais ces idées pour améliorer l’expérience de l’apprentissage pour les étudiants, sans possibilité de mettre en œuvre mes idées dans le cadre classique français. Du coup j’ai créé une école d’été en parallèle, en statut associatif, où l’on faisait venir des étudiants étrangers pour apprendre la langue et la culture françaises à l’ENS, c’était donc l’école d’été de l’ENS. Tout ça en parallèle de mes cours et de ma thèse à l’université. J’avais envie de créer, mais beaucoup trop pour pouvoir rester dans le système classique. J’ai donc cherché d’autres domaines du savoir qui fassent sens, qui soient utiles. En 2010, je suis entrée en tant que consultant chez McKinsey, où j’ai travaillé notamment sur des problématiques de stratégie et d’innovation auprès de grandes sociétés, mais en 2013, mes envies par rapport à l’éducation étaient toujours là. J’ai décidé de créer ma propre entreprise, pour agir pleinement, en toute indépendance vis-à-vis du système, trop rigide actuellement.
J’ai aussi identifié le manque de développeurs en France. L’innovation aujourd’hui, c’est le numérique, et pour ça, il faut des développeurs, il faut pouvoir mettre au point ces outils numériques. Il faut créer un vivier de développeurs et en même temps, leur apporter des compétences de façon différente.
Mais votre idée va au-delà du code non ? On parle d’enseignement au sens large ?
Effectivement, nous proposons une méthode pédagogique innovante et efficace, et dès que nous le pourrons, notre ambition sera de proposer cette façon d’enseigner et d’apprendre sur d’autres disciplines. La Wild Code School en est à ses débuts, elle ouvre la méthode. Le but ultime pour moi, c’est vraiment d’imaginer un autre modèle éducatif, quel que soit le domaine envisagé. C’est le fruit de mon expérience avec l’enseignement, tel que j’ai pu l’aborder personnellement. Avec les outils numériques, on peut aujourd’hui être plus efficace dans l’apprentissage. Non seulement ça donne des compétences à nos étudiants, mais ils disposent d’une formation pertinente par rapport au marché du travail et aux profils recherchés par les entreprises. Tout ça peut aussi alléger le budget de l’Etat. Le changement du système de l’enseignement est nécessaire pour venir à bout des difficultés économiques et sociales.
Qui sont les futurs Wilders?
La Wild Code School est ouverte à un très large public. Pas besoin d’être très fort en maths ! En revanche, le métier de développeur exige quand même quelques incontournables : il faut une grande motivation et une solide capacité à s’impliquer, ainsi qu’une grande patience. On peut passer des jours et des jours à débugger un site. Le quotidien du développeur, c’est de résoudre des problèmes. Il faut aimer venir à bout des échecs et des erreurs, trouver des solutions, chercher, tester. Développeur c’est un état d’esprit : si on l’a, alors il faut foncer !
Notre population étudiante est très variée, avec 25 à 30% de filles, ce qui n’est pas mal, quand dans certaines autres écoles du numérique on se situe plutôt à 10 ou 11%, mais je suis convaincue qu’on peut faire mieux. Pour y arriver, il y a encore de la pédagogie à mettre en œuvre, du soutien à apporter : par exemple on a constaté que parmi les désistements de dernière minute on a beaucoup de filles qui ont peur de ne pas réussir ou de ne pas savoir gérer, ce qui est dommage.
Les cultures sont toutes différentes ! Je viens d’une culture soviétique où après avoir travaillé à l’égal des hommes avant la chute de l’URSS, les femmes considèrent que le fait de pouvoir rester élever leurs enfants est une liberté. A l’inverse en France, beaucoup de choses sont faites pour que les femmes puissent travailler et entreprendre. Je ne dis pas que c’est facile, mais il faut encourager cela, persévérer et continuer.
Créer une école de code à La Loupe, c’est osé ! Pourquoi ce choix ?
(NDLR : La Loupe est un village d’Eure-et-Loir, où nous avions pour le moment uniquement repéré des agri startups et beaucoup, mais alors beaucoup de rase campagne. Comme quoi, tout peut surprendre)
Ce choix a été guidé par deux raisons : la première, c’est celle d’une rencontre avec le Maire de la commune. La municipalité nous a énormément soutenus et a créé pour l’école un environnement très favorable, une aide humaine, administrative, morale … Ils ont été là, toujours volontaires. Tout ça a engendré un environnement très favorable, serein, libre. C’était vraiment une très belle expérience et les meilleures conditions étaient rassemblées pour créer et installer l’école.
La deuxième raison, c’est que nous avons voulu installer notre école dans un environnement non urbain pour sortir du cadre : dans un environnement aussi calme, près de la nature, nos élèves vont pouvoir se focaliser sur leur apprentissage, sans être perturbé par le brouhaha extérieur, la vie urbaine et les pensées qui vont avec. La Loupe pour moi, c’est la liberté de penser, de créer. On a également le privilège d’avoir un grand espace, ce qui aurait été inimaginable à Paris. On a donc pu créer une grande cuisine, un grand espace en open space, une salle de réunion, une salle de sport. On a pu faire en sorte de loger 30 étudiants sur place. Ce qui attire nos élèves, c’est ce confort d’études et de vie. Pour nous, La Loupe c’est vraiment l’état d’esprit de la Wild Code School et c’est ce que nous avons la volonté de répandre ailleurs, dans d’autres agglomérations mais en recherchant toujours cette qualité d’environnement au service de l’enseignement.
Retrouvez la Wild Code School sur son site
Dernières infos : Après La Loupe, trois autres écoles vont bientôt suivre à Chartres, à Fontainebleau-Avon en partenariat avec MINES ParisTech, à Orléans et en tout dans 10 villes en France. Le 3 Février dernier, la Wild Code School a été labellisée Grande Ecole du Numérique par le gouvernement.
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